CPI : Il faut faire progresser la justice

(La Haye) – Les pays membres de la Cour pénale internationale (CPI) devraient profiter de leur réunion annuelle pour apporter un plus grand soutien à la Cour alors que celle-ci entame sa deuxième décennie. La CPI a franchi des étapes déterminantes en 2012, notamment en prononçant sa première condamnation, mais elle se retrouve confrontée à des défis au moment de juger certains crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.

Les 121 pays membres participeront à la session annuelle de l’Assemblée des États parties qui débutera le 14 novembre 2012, à La Haye. Cette réunion sera la première depuis l’entrée en fonction de Fatou Bensouda comme procureure de la CPI, et les gouvernements éliront son adjoint à cette occasion.

« Au terme de sa première décennie, la CPI a su asseoir son autorité, mais elle a encore du mal à mener à bien sa mission », a déclaré Elizabeth Evenson, juriste senior au programme de justice internationale de Human Rights Watch. « Les représentants de la Cour et les gouvernements devraient redoubler d’efforts pour s’assurer que la CPI puisse juger les crimes les plus graves. »

Faire appliquer les mandats d’arrêt prononcés par la Cour, défi de première importance, constitue l’un des points inscrits à l’ordre du jour du premier débat sur la coopération de l’Assemblée. Joseph Kony, chef de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army), un groupe rebelle ougandais, et Bosco Ntaganda, chef de milice devenu général d’armée et s’étant rebellé contre la République démocratique du Congo en avril 2012, font partie des personnes recherchées par la Cour. Human Rights Watch a rassemblé un certain nombre de preuves concernant des violations répétées des droits humains par des forces placées sous les commandements de Kony et Ntaganda en Afrique centrale. La CPI compte sur les pays pour procéder aux arrestations et lui livrer les suspects.

« Sans arrestation, il ne peut y avoir de justice » a affirmé Elizabeth Evenson. « En tirant des enseignements concrets de l’expérience des autres tribunaux chargés de juger les crimes de guerre, les pays pourront profiter de la réunion pour apporter un soutien plus concret aux efforts d’arrestations. »

Mme Bensouda a pris de solides engagements au cours des premiers mois de son mandat pour placer les victimes au cœur du travail de la Cour, notamment lors de sa récente visite au Kenya, a déclaré Human Rights Watch. Son bureau mène actuellement des enquêtes dans le pays concernant les violences post-électorales de 2007-2008.

Les pays membres devraient également tenir davantage compte de l’importance qu’a la CPI pour les victimes, a déclaré Human Rights Watch. Les engagements précédemment pris par l’Assemblée pour renforcer l’impact de la Cour grâce à une présence et à des opérations accrues dans les pays pour lesquels la CPI a ouvert des enquêtes ont été assombris par les âpres négociations concernant le budget qui ont eu lieu dans le cadre de la session annuelle. Même si les représentants de la Cour doivent dépenser les ressources de manière avisée, notamment en accélérant les procédures, il convient de ne pas négliger l’engagement auprès des communautés de victimes, a déclaré Human Rights Watch.

« On reproche souvent à la justice internationale de ne pas être assez proche des victimes dont elle sert les intérêts » a observé Elizabeth Evenson. « Les gouvernements devraient soutenir les efforts visant à rapprocher la CPI des communautés de victimes dans les textes comme dans la pratique et donner à la Cour les moyens d’atteindre cet objectif. »

Une partie de la réunion sera consacrée aux efforts internationaux visant à soutenir les procès menés au niveau national concernant les crimes internationaux les plus graves. Les membres de la CPI devraient en profiter pour partager leur expérience en matière de soutien à la justice et de conduite de procès au niveau national pour les crimes graves. Au-delà du financement de projets de renforcement des capacités, les États devraient également travailler ensemble pour s’assurer que les autorités nationales mènent des procès indépendants et impartiaux pour les crimes les plus graves, a déclaré Human Rights Watch.

Des avancées récentes, notamment la décision du Sénégal de signer avec l’Union africaine un accord pour traduire en justice l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré, pourraient permettre que justice soit faite dans les affaires de crimes graves au-delà des possibilités internationales actuelles, a déclaré Human Rights Watch.

Pendant la session, les membres commémoreront les dix ans d’existence de la CPI, depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. La Cour a ouvert ses portes en 2003 et mène des enquêtes dans sept pays.

Dans un mémorandum adressé aux États le 7 novembre, Human Rights Watch a appelé au renforcement des engagements politiques relatifs à la CPI. Le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas donné suite aux appels demandant de saisir le procureur de la CPI concernant la situation syrienne malgré la nécessité d’obtenir justice dans cette situation. Pour le Darfour et la Libye, deux affaires que le Conseil de sécurité a transmises à la Cour, il n’a apporté qu’un soutien très faible. Les membres de la CPI devraient mettre à profit les discussions qui se tiendront lors de l’Assemblée pour renforcer le dialogue entre la Cour et le Conseil de sécurité, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a également appelé les gouvernements à mettre en place un groupe de travail permanent qui s’occupera des besoins de coopération tout au long de l’année. Au-delà des arrestations, la CPI fait appel aux gouvernements pour l’aider dans ses enquêtes, poursuites et programmes de protection des témoins.

Contexte

La Cour pénale internationale (CPI) est la première cour internationale permanente créée pour juger les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide lorsque les tribunaux nationaux refusent ou ne sont pas en mesure de le faire. Le 10e anniversaire de l’entrée en vigueur du traité à l’origine de la création de la CPI, le Statut de Rome, a été célébré en juillet 2012. Ce traité est entré en vigueur quatre ans seulement après que 120 États l’ont adopté lors d’une conférence tenue à Rome en 1998.

L’Assemblée des États parties a été créée par le Statut de Rome afin de superviser la gestion de l’administration de la Cour. Elle se compose de représentants de chacun des États membres et est tenue de se réunir une fois par an, ou plus si nécessaire. Actuellement, l’Assemblée est présidée par Madame l’Ambassadeur de l’Estonie, Tiina Intelmann.

Il existe trois manières possibles de saisir la Cour suite à des allégations de crimes internationaux. Une situation, à savoir un ensemble spécifique d’événements, peut être déférée au procureur de la CPI soit par des États membres de la Cour, soit par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Par ailleurs, le procureur de la CPI peut demander de son propre chef l’autorisation d’ouvrir une enquête aux juges de la chambre préliminaire de la CPI.

Le procureur de la CPI a ouvert des enquêtes en République centrafricaine, en Côte d’Ivoire, dans la région du Darfour au Soudan, en République démocratique du Congo, au Kenya, en Libye et dans le nord de l’Ouganda. Sur la base de ces enquêtes, 13 affaires ont été ouvertes contre 21 individus.

Le procureur examine également un certain nombre d’autres situations dans le monde. Les pays concernés sont l’Afghanistan, la Colombie, la Géorgie, la Guinée, le Honduras, le Nigeria, le Mali et la Corée du Sud.

Cinq personnes sont actuellement détenues par la CPI à La Haye, et trois autres, accusées de crimes de guerre en lien avec une attaque menée contre des soldats du maintien de la paix de l’Union africaine au Darfour, ont comparu volontairement au cours des procédures préliminaires du procès. La chambre préliminaire de la CPI a rejeté les accusations contre l’une de ces trois personnes, Bahr Idriss Abu Garda ; les procès des deux autres suspects n’ont pas encore commencé. La chambre préliminaire a également rejeté les accusations portées contre Callixte Mburashimana pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre qui auraient été commis en 2009, lors du conflit armé qui a touché la région des Kivus, en République démocratique du Congo.

En mars 2012, dans le cadre de son premier procès, la Cour a prononcé la condamnation du chef rebelle Thomas Lubanga Dyilo pour enrôlement et conscription d’enfants soldats. Dans l’affaire Lubanga, au mois d’août, les juges de la CPI se sont également prononcés pour la première fois sur les principes applicables aux réparations pour les victimes.

Le procès de Jean-Pierre Bemba Gombo, ancien vice-président congolais, commandant des forces rebelles et chef du parti d’opposition, fondé sur des accusations de crimes commis en République centrafricaine, est en cours, et un verdict est attendu au cours des prochains mois dans le procès conjoint des chefs rebelles congolais Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. Quatre Kényans, parmi lesquels des dirigeants politiques de premier plan affiliés à chacun des deux camps qui se sont opposés lors des violences post-électorales de 2007-2008, devraient être jugés en 2013. Les poursuites contre deux autres Kényans ont été abandonnées plus tôt cette année.

Le Président soudanais Omar al-Béchir et trois autres personnes recherchées pour des crimes au Darfour sont encore en fuite. Des mandats d’arrêt ont également été déposés contre des dirigeants de l’Armée de Résistance du Seigneur en Ouganda, contre Bosco Ntaganda, ancien commandant de milice intégré dans l’armée nationale congolaise avant sa rébellion en avril 2012, et contre deux suspects dans la situation en Libye, à savoir Saif al-Islam Kadhafi et Abdullah Sanussi, tous deux détenus en Libye. La Cour a suspendu le transfert à La Haye de Saif al-Islam Kadhafi, fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, en attendant la décision relative à la requête déposée par la Libye remettant en cause la compétence de la Cour sur cette affaire. Les juges de la CPI ont abandonné le procès contre Mouammar Kadhafi après qu’il a été tué, le 20 octobre 2011.

 

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